Le jeu de l’Oie Cendrée / F.Gourier / extraits

Le jeu de l’Oie Cendrée.

 50- LE SEUIL

Les quelques mots dévoilant l’imposture d’une vie entière furent prononcés entre deux portes. Propos de vernissage en coup de vent, dont l’éventail d’implications n’en finit pas de se déplier. Un ami d’amis parle de Grey Owl. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui le connaît, en dehors du cercle familial. Non seulement Denis G. a lu les récits du hibou Gris, mais aussi sa biographie.
Sans ambages, il casse le morceau : le mentor de mon enfance est un menteur. Wa-Sha-Quon-Asin s’appelait Archibald Stansfeld Belaney ! Mes cabanes tremblent sur leurs bases… Pas plus Apache qu’autodidacte, il était issu d’une prospère famille écossaise établie à Hastings dans le Sussex, où il suivit un cursus scolaire classique ; à dix-sept ans, ayant démontré une complète allergie à toute forme d’autorité, il émigra au Canada.
Réveillé par la débâcle du barrage, un vieux petit castor sort de sa longue hibernation, s’inquiétant enfin des vices de construction de son ancien Nouveau Monde. « Toute conscience est seuil. » Le moment est-il venu de franchir celui de mes prisons intérieures ? Presque… plus que deux ou trois ans avant de partir en quête de la biographie iconoclaste – Denis G. n’arrive pas à retrouver son exemplaire – qui explique comment un rempart de livres devient un piège mortel. De consulat en bibliothèque et librairies canadiennes, je ne lâcherai plus la piste de l’imposture.

On a mal pour lui, de voir se refermer les mâchoires de ses mensonges d’écolier. J’en boiterais, de penser que pendant des années il s’imposa de marcher les jambes arquées, afin d’accréditer la légende d’une enfance passée à cheval.
(p.185,186)

À la fin des années trente, le porte-parole du peuple castor ne se contentera plus de tournées triomphales en Amérique. Jouant avec le feu, il les étendra jusqu’à Hastings – afin de se faire reconnaître par les demoiselles Belaney avant de mourir ? – au risque d’être démasqué. Mais tragiquement pour lui, il gardera son masque. Rongé par l’incapacité de faire confiance, Archibald repoussera toutes les occasions d’échapper à ses dénis. Seule panacée pour oublier imposture, polygamie et abandons d’enfants : l’eau-de-feu. Epuisé, il mourra à cinquante ans, âge présumé de la mort de son père.

(p.187,188)

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