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Julie NAKACHE

Il neige un peu de lui sur le seuil où elle attend

ISBN 978-2-912824 /64 p-15 euros

Avec la désinvolture d’une anecdote surréaliste tissée d’états d’âmes ordinaires, c’est un conte en forme de parabole, un Quatuor des dissonances qui s’écrit sous nos yeux dans l’ordre du symbolique. La statue du Commandeur est ici l’idée du Miroir, celle que l’on traque dans un éclat de verre, une flaque d’eau, le regard de l’autre…

Alors qu’il faut juste  » entendre le Temps », celui que l’on conjugue dans l’Inouï, pour que s’opère la traversée des apparences, la transmutation. De robe arc-en-ciel en robe banquise, Elle, nous précipite dans l’aveuglante blancheur, mystère des métamorphoses quand, en quête de son essence, elle se jette à la tête de son destin. Le miroir est matière première de l’art, et chacun est ici appelé à voler en éclats.

Si celui qui écrit est d’abord quelqu’un qui consent à ce qui le traverse sans lui appartenir, et le mène vers où, seul, il ne saurait aller, alors on peut dire qu’avec Julie, nous assistons à l’éclosion d’un papillon libre de tout reflet, blanc sur fond blanc. /MBH

En face, tout était blanc et les deux amoureux, dégoulinants de larmes, comme liquéfiés au milieu d’une telle blancheur bataillaient sur la glace.

Dans cette atmosphère d’aquarium, quelques enfants, quelque poète auraient pu entendre comme jamais sa musique mais s’en trouvait-il seulement dans ce hall d’aéroport où tous n’avaient d’oreille que pour les vols en partance ?

Née à Evreux en 1981, titulaire d’un DEA  de lettres modernes, Julie Nakache enseigne en lycée. Elle écrit depuis l’âge de quinze ans. Il neige un peu de lui sur le seuil où elle attend est son premier roman.

Julie Nakache : Il neige un peu de lui sur le seuil où elle attend (éditions d’écarts, 2010)/ Denis COLLIN.

Un titre étrange pour un objet étrange. Un bref roman qui raconte des vies qui se croisent, un chanteur triste à mourir qui ne peut aimer, un couple, Lô, le peintre et la fille sans nom, qui s’aiment d’un amour de livre, un retraité et son chat, un monsieur tout-le-monde qui achète un portrait de la fille. Barcelone et parfois Paris. Des vies ordinaires. Rien pour faire un roman palpitant. Mais Julie Nakache sait que c’est l’écriture qui fait la littérature et pas l’histoire que l’on raconte. Cette vedette du show-biz, menacée par les « voraces » (nous tous, sans doute) ressemble à un pingouin, « à cause de son dandinement perpétuel ». Mortelle métaphore : les pingouins, ça vient de la banquise et le monde va se refroidir. Il neige sur les citronniers en fleur et la robe de la fille du portrait devient un robe de banquise. On pourrait prendre le livre de Julie Nakache pour une sorte de conte fantastique. Mais on y peut lire autre chose. Des identités qui se défont : la fille banquise a perdu son image dans le miroir et doit se faire voir par son retraité de voisin pour continuer d’exister, avant de fondre et de ne laisser qu’une flaque d’eau ; le peintre amoureux paraît complètement inconsistant, seulement capable de vivre un « amour de livre », une représentation de l’amour ; même quand il veut se suicider, il se contente de la représentation du suicide : il en fait un tableau.

Le pingouin est séparé des autres (les voraces) par une muraille invisible et infranchissable, et ses amours ne sont que des photos collectionnées et numérotées dans une petite boîte en fer. Des individus qui se décollent d’eux-mêmes, des consciences de soi qui se perdent, aliénées au sens hégélien de « Entfremdung », « étrangement », pour reprendre la traduction Lefbvre : le monde que peint Julie Nakache, avec la minutie de la calligraphie mentale, est glaçant d’un bout à l’autre. Les seuls survivants sont les mesquins, monsieur et madame tout le monde. À vous en couper l’envie de manger son pain.

Au fond, c’est peut-être un livre politique que nous livre Julie Nakache. /Denis COLLIN