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François Carré / extraits

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Quarantaine

Et la couleur de cet oubli est une demi-teinte, passée et fausse. Je suis devenu faux à force de vouloir contrer l’insulte. Cette anticipation perpétuelle m’a ôté toute spontanéité. Je ne me confie jamais. Je ne parle que lorsque c’est nécessaire. Je n’ose même pas courir dans la rue, parce que j’ai peur qu’on me remarque et qu’on se moque de moi. Quand je marche, d’un pas que j’espère le plus anonyme possible, et que quelqu’un rit derrière moi, je n’ose pas me retourner et constater que c’est bien de moi qu’on rit. Comme autrefois. Je ne danse bien sûr jamais. Je n’ai jamais dansé en public. Adolescent, j’ai bien essayé quelques pas devant un miroir, mais j’ai vite arrêté de les répéter puisque je les savais inutiles. Et je me trouvais ridicule moi-même dans ce tête-à-tête misérable. Je ne ris pas non plus. J’ai peur de mon rire. / p. 17

9h27. Pas de déjeuner chez Marie aujourd’hui. Pas besoin de me lever. Je me suis ennuyé hier. Je n’avais pas pensé que marie était mariée. Je n’avais pas réfléchi qu’elle pourrait avoir des enfants. Trois. J’ai été tellement surpris quand la porte s’est ouverte sur trois martiens nains qui se poursuivaient dans un séjour Ikea, que j’ai regardé Marie comme pour la prévenir qu’un OVNI venait d’atterrir chez elle, et qu’elle ne s’en était pas rendu compte. Mais quand un homme s’est montré derrière l’épaule de Marie, j’ai compris que Marie était mariée et que les trois martiens étaient ses enfants. Je l’ai regardée encore une fois, en me demandant comment cette petite femme avait pu accoucher d’une soucoupe volante. Et puis il y avait ce petit air perdu aussi que j’avais remarqué au collège sur son visage, qui m’avait convaincu qu’elle vivait seule, comme moi, et qu’elle le vivait mal, comme moi. je ne pensais pas qu’une femme mariée avec trois enfants pouvait avoir un petit air perdu. C’est pour ça que je n’avais pas pensé que son invitation pourrait être « Familiale », comme les portions de desserts sur les rayons du supermarché. Je crois que j’ai faim… / p. 79

Quand j’avais cru qu’on m’avait enfin accepté. Cette sensation s’est étirée. Comme une caresse. C’est pour ça que je n’ai pas réagi au contact de cette main sur mon sexe. J’étais sous l’empire de cette autre sensation, qui venait d’éclore en moi. J’étais trop occupé à la couver. Et d’un seul coup, j’ai réalisé que c’était l’obscurité qui l’avait fait naître. J’ai pensé à la mort. Je ne sais pas pourquoi /p.125